Portraits croisés : cépages indigènes et vignerons audacieux du Québec et de l’Ontario
Histoires de passion, de climat difficile et de jus sincère
Dans un monde du vin encore dominé par les classiques européens, le Canada viticole creuse son propre sillon. Un sillon parfois rude, souvent givré, mais toujours vibrant.
Des vigneron·nes du Québec et de l’Ontario réinventent ce que veut dire faire du vin ici, avec les moyens du bord, beaucoup de cœur, et des cépages indigènes adaptés à notre norditude. À travers leurs histoires, on découvre une autre idée de la grandeur : Celle du courage, de la patience et du goût du vrai.
Des cépages qui parlent d’ici
Quand on dit “cépage indigène” au Canada, on ne parle pas de vignes sauvages trouvées en forêt, mais bien de cépages hybrides développés pour résister aux conditions locales. Frontenac, Marquette, St-Pépin, Petite Perle, La Crescent… Ces noms ne font pas (encore) frissonner les grands sommeliers, mais ils racontent une autre vérité : celle du vin qui pousse là où les “grands” ne peuvent pas.
Pas par choix marketing. Par nécessité, au début. Et aujourd’hui, par conviction.
Au Québec : Des pionniers du gel
Faire du vin au Québec, c’est accepter de jouer contre le temps. Les hivers sont longs, les gels de printemps imprévisibles, et l’humidité de fin d’été peut tout ruiner.
Mais c’est aussi là que naît une certaine magie : Celle du jus sincère.
Prenez Les Pervenches, en Estrie : Pionniers du bio, farouchement attachés à leurs hybrides. Leurs cuvées 100 % nature, souvent issues de Frontenac ou de St-Pépin, prouvent qu’on peut faire du vin vivant, digeste et vibrant dans un climat rude.
Ou encore Négondos, dans les Laurentides, qui travaillent sans compromis et expérimentent avec macérations, amphores, levures indigènes… Ils refusent de plier devant les attentes classiques et tracent leur route en pleine forêt.
En Ontario : Le croisement des mondes
L’Ontario, avec son microclimat unique autour du Niagara et du comté du Prince Edward, jongle entre Vitis vinifera (Pinot Noir, Riesling, Chardonnay) et cépages hybrides. Mais même ici, des vigneron·nes audacieux misent sur les variétés locales.
Traynor Family Vineyard, par exemple, sort des sentiers battus avec ses Pet Nats à base de La Crescent ou de Marquette, en fermentation spontanée.
Trail Estate, un peu plus au nord, explore des expressions crues, sans intrants, même avec des cépages peu considérés ailleurs — et les résultats sont franchement bluffants.
Et puis il y a les “hors-cadres”, comme Rosewood ou Leaning Post, qui n’ont pas peur de mélanger savoir-faire traditionnel et approche brute, en laissant parler la matière première sans maquillage.
Un feu sous la glace
Ces vigneron·nes ont un point commun : iels travaillent avec ce qu’iels ont. Leur climat. Leur sol. Leurs raisins. Et surtout : Leur intuition.
Ce ne sont pas des techniciens du goût calibré. Ce sont des artisans du vivant. Leurs vins ne cherchent pas à plaire à tout prix, ils cherchent à parler. À raconter une saison, une émotion, une parcelle.
On y trouve du trouble, de l’acidité vive, parfois un peu de brett, parfois des défauts… mais surtout, une honnêteté gustative trop rare.
Une scène en pleine ébullition
Loin d’être un repli, ce retour aux cépages d’ici et à une vinification naturelle est en train de redessiner la carte du vin canadien.
Il ne s’agit plus d’imiter la Bourgogne ou la Loire, mais de revendiquer une voie propre, ancrée dans le territoire et tournée vers l’avenir. Un avenir où le climat change, où les consommateurs cherchent du vrai et où la diversité des cépages, des méthodes et des personnes devient une force.
À vous de goûter
Boire ces vins, c’est participer à une aventure fragile et déterminée. C’est encourager celles et ceux qui, dans un rang de vignes gelé en avril ou sous un soleil capricieux d’août, choisissent de croire en un vin qui ne ment pas.
Et peut-être qu’un jour, Frontenac, Marquette ou St-Pépin deviendront des noms qui évoquent, non plus des “solutions de repli”, mais des références.
Parce qu’au bout du compte, ce qui compte, ce n’est pas le pedigree du cépage.
C’est ce qu’il a à dire.
Et ici, il en a beaucoup à dire.







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